Entretien avec le Professeur Carlos Fuertes Iglesias sur la réforme du droit des infractions sexuelles en Espagne, entrée en vigueur en 2023
Découvrez notre entrevue avec le Professeur Dr. Carlos Fuertes Iglesias, de la Faculté de Droit de l'Université de Saragosse. Le Dr. Fuertes Iglesias est Professeur assistant en droit pénal et Coordinateur de la Chaire Johnson & Johnson "Droit et Santé" – dirigée par le Dr. Miguel Ángel Boldova Pasamar, son mentor, une des figures les plus reconnues du droit pénal espagnol actuel. Il est membre du comité d'experts du Collège de Criminologie de Madrid et du conseil d'administration de l'Association des Professeurs de droit pénal des Universités espagnoles (APDP), où il coordonne les jeunes professeurs de cette association au niveau national. Il coordonne également la matière pénale dans le Master universitaire en Avocature et magistrature (Abogacía y Procura) de l'Université de Saragosse.
Avocat pénaliste, il plaide devant les diverses juridictions espagnoles et européennes. Il a complété sa formation en Droit Sanitaire et Sciences Forensiques à l'Université nationale d'Enseignement à distance et sur la protection des mineurs à la T.H. Chan School of Public Health (Université de Harvard). Il a enseigné dans des universités latino-américaines (par exemple au Chili ou au Salvador) et il est l'auteur de plusieurs ouvrages en droit pénal sexuel, sur l’euthanasie ou les crimes contre l'administration de la justice, ainsi que sur des questions de santé telles que le traitement involontaire des malades mentaux ou la prescription pharmacologique et ses limites.
Dans cette interview, le Prof. Dr. Fuertes Iglesias partage sa vision de l'évolution du droit pénal sexuel en Espagne, abordant les récents changements législatifs, leurs implications pour la protection des victimes et les comparaisons internationales avec d'autres juridictions.
Il s'agit de la traduction française de l'entrevue menée en espagnol.
En 2023, la réforme du droit des infractions sexuelles est entrée en vigueur en Espagne, connue sous le nom de « Loi du seul oui est un oui ». Cette réforme a introduit, en deux temps, des changements significatifs dans la législation espagnole, en se concentrant sur le consentement explicite et sur la protection élargie des victimes de crimes sexuels. Cette loi a fait l'objet d'un débat intense et est apparue en réponse aux critiques concernant l'interprétation judiciaire laxiste des infractions sexuelles, ainsi qu'aux demandes de la société civile pour une plus grande protection des droits des victimes. Vous êtes un expert sur le thème du consentement en droit pénal, ayant rédigé votre thèse doctorale sur le consentement sexuel des mineurs en droit pénal espagnol, comparé aux droits pénaux britannique, nord-américain, allemand, français et italien. Bien qu'il soit difficile de résumer tout votre travail et toutes vos conclusions dans une brève interview, quelles sont les principales conclusions de votre recherche et quelles différences significatives avez-vous trouvées entre ces juridictions ?
De cette longue recherche, plusieurs conclusions importantes peuvent être tirées. La première, essentielle, est qu'en Espagne, la protection offerte par le Code pénal aux mineurs répond à une conception duale des biens juridiques concernés : d'une part, la liberté sexuelle, mais aussi un concept essentiel qui est l'intégrité sexuelle. En dessous de 16 ans, les mineurs en Espagne, en règle générale, ne peuvent pas consentir valablement à avoir des relations sexuelles avec d'autres personnes, sauf pour ceux qui sont proches en développement ou en maturité physique et psychologique (c'est-à-dire la clause « Roméo et Juliette », à laquelle j'ai récemment consacré une monographie chez Aranzadi). Je propose, en suivant la ligne tracée par mon mentor, le Dr. Boldova, une interprétation qui favorise le développement de la personnalité sexuelle des mineurs, cohérente et adaptée à la réalité sociale, ainsi qu'au texte pénal lui-même et aux autres normes légales en vigueur en Espagne. Il est asynchrone et inapproprié de limiter les relations sexuelles jusqu'à l'âge de 16 ans alors que la responsabilité pénale naît en Espagne à partir de 14 ans, le même âge auquel on peut tester ou, plus encore, effectuer un changement de sexe. En même temps, je soutiens que dans le système juridique espagnol, le concept du « seul oui est un oui » n'a pas trouvé sa place dans le droit positif, car il n'existe pas de modèle de consentement explicite dans le Code pénal, même si certaines voix insistent sur une interprétation qui conduirait, en dernière analyse, à une intervention pénale non seulement démesurée, mais basée sur la considération que l'activité sexuelle entre adultes est une activité à risque, dans laquelle l'absence de consentement est présumée, sauf preuve du contraire (c'est, par exemple, l'interprétation de la Procureure Générale de l'État et de certaines voix importantes dans la doctrine). Face à cela, je soutiens que l'intervention du « ius puniendi » doit toujours être limitée, et qu'il est bien sûr inacceptable d'admettre une inversion de la charge de la preuve dans le domaine accusatoire, car cela reviendrait à accepter que l'accusé doive prouver le consentement de la victime présumée, ce qui constitue une « probatio diabólica » (traduit litt. « preuve diabolique »), en plus d'impliquer une entrée de plain-pied dans le droit pénal de l'ennemi, en exemptant un type de délinquance des garanties procédurales par rapport à d'autres.
La révision récente du droit pénal espagnol en matière d'infractions sexuelles a également intégré diverses modifications visant à protéger les victimes mineures. Quelle est votre opinion sur cette réforme ? Pensez-vous qu'elle corrige adéquatement les lacunes du cadre légal précédent et qu'elle améliorera la protection des victimes mineures ?
Je pense que les mineurs ne sont ni mieux ni davantage protégés depuis l'entrée en vigueur de la Loi Organique 10/2022, ni par les réformes successives en matière sexuelle. En effet, la réglementation issue des versions précédentes du Code pénal avant les réformes de 2015, 2020 et 2022, qui fixait l'âge de consentement à 13 ans et punissait les abus et agressions sexuels ainsi que l'abus par tromperie, était à mon avis pleinement suffisante pour punir la grande majorité des cas. Certes, la première rédaction du Code pénal de 1995 offrait une protection excessivement limitée aux mineurs – sur ce point, des voix critiques, comme celle du Professeur Gimbernat, avaient souligné la disproportion entre la gravité de certains comportements et la réponse pénale qui leur était réservée. Cependant, une fois ces imperfections corrigées, l'élévation de l'âge de consentement de 13 à 16 ans m'apparaît comme une mauvaise mesure pour la protection du développement libre de la sexualité des mineurs. Les jeunes de moins de 16 ans ne sont pas, aujourd'hui comme par le passé, étrangers au développement sexuel, et l'ordre juridique ne devrait pas chercher à criminaliser ces expériences, qui sont une étape préparatoire à la vie adulte. Par ailleurs, les dernières mesures adoptées n'améliorent en rien l'intervention contre les potentiels pédophiles, puisque ces individus ne ciblent généralement pas les adolescents pubères, mais plutôt les très jeunes enfants, un aspect pour lequel le Code pénal protège effectivement les mineurs, mais pas spécifiquement les moins de 16 ans (que ce soit en matière de pornographie ou de prostitution des mineurs). Enfin, les infractions impliquant des nouvelles technologies (comme le grooming ou le sexting) représentent une avancée des frontières punitives qui, bien que dans certains cas l'intervention pénale puisse avoir un effet préventif général, auraient pu être couverts sans nécessiter une typification expresse, simplement par une exégèse appropriée des infractions d'agression sexuelle et de pornographie des mineurs. À l'inverse, ce que j'observe maintenant, c'est une juxtaposition de figures et une surdimension de l'intervention pénale, au point que l'objectif de protection du bien juridique s'en trouve complètement dilué (par exemple, dans le cas de la pornographie réaliste impliquant des mineurs, lorsqu'elle est purement virtuelle et qu'aucun mineur n'est réellement affecté).
De plus, dans votre livre "El derecho penal sexual español y los menores" – traduit litt. « Le droit pénal sexuel espagnol et les mineurs », publié en juillet 2024, vous abordez des questions pertinentes dans le droit pénal espagnol actuel. Pourriez-vous nous expliquer les concepts clés qui ont déterminé la réglementation légale actuelle en Espagne, en comparaison avec d'autres législations étrangères, ainsi que les différentes positions doctrinales sur la protection des mineurs contre les crimes sexuels ?
Les bases de la législation pénale actuelle, selon moi, sont façonnées par une réponse juridique influencée par deux facteurs importants : d'une part, les médias et les réseaux sociaux amplifient les délits sexuels et, par conséquent, créent un courant d'opinion publique qui est manipulé par la désinformation. L'Espagne est un pays sûr, avec une faible criminalité sexuelle en comparaison à des pays alentours. Cependant, certains secteurs politiques et sociaux (notamment certains groupes identitaires) ont diffusé des messages véritablement fallacieux et infondés, autour d'une prétendue "impunité" des délinquants sexuels et d'un manque de protection des victimes. Cela, combiné à des courants internationaux tels que le mouvement "Me Too" (dont les effets secondaires, en ce qui concerne l'observation de principes essentiels de nature procédurale-pénale, comme la présomption d'innocence ou le respect de la dignité des personnes mises en examen, ont affecté l'essence même de la légitime revendication initiale, et dont il est aujourd'hui douteux qu'elle conserve cet esprit) et des affaires médiatiques comme celle de « La Manada », a conduit à la création d'un climat favorable à un droit pénal sexuel de "maximalisme", interventionniste à l'extrême, qui cherche à établir un modèle de relation sexuelle artificiel, tant pour les adultes que pour les mineurs. Contrairement au système allemand, où "non signifie non", et où des progrès ont été réalisés pour assimiler l'absence de consentement explicite dans certains cas de violence ambiante à une manifestation de refus (ce qui, à mon avis, est une interprétation correcte), le système espagnol qui a été envisagé – et que, heureusement, même ses défenseurs n'ont pas réussi à positiver, au-delà des interprétations actuelles de ce que la loi est censée dire, mais ne dit pas – propose un système de consentement explicite affirmatif, pour les adultes et les mineurs, qui dénature la dynamique des relations humaines entre personnes ayant un lien émotionnel, et qui transforme le sexe en une relation contractuelle. Dans ce cadre, prévaut un principe de méfiance et une nécessité de formaliser les accords, à la manière du droit des consommateurs. Ce modèle, fondé sur la méfiance mutuelle, est en contradiction avec la psychologie et la sexologie humaines.
Avant la réforme, le droit pénal espagnol distinguait entre « abus sexuel » et « agression sexuelle », la différence résidant principalement dans l'utilisation de la violence ou de l'intimidation. L'abus sexuel était considéré comme une infraction moins grave, souvent sans éléments de violence ou de contrainte. Cette distinction a été abolie par l'article 178 du Code pénal espagnol. Désormais, tout acte sexuel sans consentement clair est classé comme une agression sexuelle, unifiant ainsi les catégories et élargissant la définition pour inclure tout acte où le consentement n'a pas été donné librement et clairement. Comment évaluez-vous ce changement en termes de son impact sur la protection des victimes et la clarté législative ?
L'assimilation de l'abus sexuel et de l'agression sexuelle a été, sans aucun doute, l'une des erreurs les plus marquantes de la réglementation de la Loi Organique 10/2022. Ce défaut a dû être corrigé quelques mois plus tard par la Loi Organique 4/2023, une "contre-réforme" qui s'est avérée indispensable, non seulement en termes de politique pénale – en raison des réductions de peine favorables résultant de la promulgation de la loi – mais aussi parce qu'il est inconcevable de protéger adéquatement la liberté sexuelle en admettant que la violence et l'intimidation cessent de constituer des comportements plus graves, dignes d'une réprimande qualifiée, par rapport aux atteintes à la liberté sexuelle où, en l'absence de consentement, il n'y avait ni violence ni intimidation. À partir d'une affaire médiatique en Espagne, comme celle de "La Manada" à Pampelune – une attaque contre la liberté sexuelle d'une jeune femme par un groupe de jeunes hommes exerçant une intimidation ambiante – un secteur du féminisme a poussé à une modification sous deux principes : "seul un oui est un oui" – ce qui n'a pas été mis en œuvre – et le slogan "ce n'est pas un abus, c'est un viol", faisant valoir que la distinction entre abus et agression sexuelle nuisait aux victimes de crimes sexuels et que la distinction existante dans ce domaine était artificielle. En réalité, nous avons maintenant des catégories bien moins précises sur le plan technique, avec des problèmes fréquents de concours de lois, et il a fallu revenir en arrière pour rétablir la violence et l'intimidation comme des facteurs aggravant la responsabilité pénale, car le contraire a conduit à une "table rase" qui a entraîné des réductions substantielles des peines, prévisibles et évitables, si le législateur espagnol l'avait voulu.
Après un long débat politique, le législateur suisse a modifié l'article 190 du Code pénal suisse en se basant sur le principe « non signifie non ». Le droit pénal suisse inclut désormais une règle qui considère comme un viol toute relation sexuelle impliquant la pénétration du corps, lorsque la victime n’y a pas consenti. Tel est le cas même en cas de « freezing » (l’auteur profite d’un état de choc qui empêche la victime d'exprimer son refus). Cette réforme est moins stricte que celle de l'Espagne, qui applique le principe « seul un oui est un oui ». Les principaux arguments en Suisse contre le principe « seul un oui est un oui » étaient que la preuve du consentement est difficile, parfois impossible (c'est parole contre parole), et que, dans l'application du principe de présomption d'innocence, le principe de « non signifie non » est plus approprié. À votre avis, quels sont les avantages et inconvénients du système espagnol par rapport au système suisse ? Pour les mineurs, le principe « seul un oui est un oui » devrait-il toujours s'appliquer dans tous les États, ou le principe « non signifie non » est-il suffisant ?
Je pense que le système suisse est bien plus adapté que le modèle espagnol, à mon avis, pour une protection adéquate de la liberté sexuelle des adultes, comparé à notre réglementation actuelle, qui est loin d'être exemplaire, sauf en ce qui concerne des changements législatifs sans justification suffisante. Le système espagnol n'est pas, il faut le préciser, un modèle de « seul un oui est un oui », mais un système où, avant et maintenant, le consentement des participants à un acte sexuel est exigé. Le sexe non consenti est un délit en Espagne et en Suisse. Le problème réside dans l'expression du consentement. Exiger une expression textuelle, littérale et affirmative comme norme légale suprême est contraire à la théorie générale du consentement en droit et dénature également la nature des relations sexuelles et de la communication humaine. D'une part, parce que les interactions sexuelles sont constituées de centaines de consentements, pas d'un seul : chaque acte de pénétration, chaque caresse, chaque baiser nécessite un consentement, de sorte que la relation sexuelle pourrait être décomposée en facteurs plus simples (l'atomiser, si l'on veut), car il suffit qu'une des conduites déployées ne soit pas consentie pour être dans le domaine pénalement pertinent. Ainsi, en partant du principe qu'il n'y a pas un consentement, mais un continuum de communication entre les participants, dans une conduite dynamique, changeante et progressive – aussi méthodique que l'on puisse être, je pense qu'il est impossible, même avec la plus grand rigueur dans le comportement humain, de planifier chaque acte sexuel comme une affaire juridique – le consentement s'exprime verbalement, mais aussi tacitement, à travers le comportement des participants. Ainsi, un modèle de « non signifie non » me semble bien plus raisonnable qu'un modèle de « oui est oui », tant qu'il admet qu'il peut y avoir des situations d'impossibilité d'exprimer un refus (en raison d'une intimidation ambiante, d'une paralysie par choc de la victime…). Cela concilie également beaucoup mieux le droit pénal matériel et les garanties constitutionnelles de présomption d'innocence et le principe accusatoire, qui régissent dans tous les pays démocratiques, car c'est à l'accusation de prouver l'absence de consentement. Prétendre le contraire, c'est soumettre l'accusé à une « probatio diabólica », car il est impossible de prouver le consentement, même par écrit, car cela pourrait être précédé d'une contrainte de la victime. En fait, le système de consentement explicite peut être le pire ennemi d'une victime de crime sexuel, précisément pour cette raison.
Dans le cas des mineurs de moins de 16 ans, âge en dessous duquel le consentement n'est pas valable en règle générale, sauf entre proches en âge et en développement ou maturité, je préconise dans ma thèse doctorale une interprétation favorable à ce que les relations sexuelles (au sens large) entre mineurs restent en dehors du droit pénal, avec un modèle de clause avec des limites objectives et une plus grande sécurité juridique. En tout cas, je considère que le cadre actuel est excessif et contraire à la réalité sociale : les mineurs de 16 ans sont effectivement sexuellement actifs en Espagne, de plus en plus tôt, et avec des personnes qui ont des différences d'âge avec eux qui rendent nécessaire l'application de la clause, en tenant compte du fait que la responsabilité pénale des mineurs naît en Espagne à partir de 14 ans. Autrement dit, un jeune de 17 ans qui aurait des relations avec une personne de 13 ans, par exemple, même avec la volonté des deux, serait pénalement responsable en théorie, sauf application de la clause « Roméo et Juliette » (art. 183bis du CP espagnol). Cette asynchronie entre l'âge de consentement sexuel (16 ans) et l'âge de responsabilité pénale (14 ans), ainsi que les limites pour la capture d'images pornographiques (18 ans), pose de nombreux conflits dans la pratique pénale.
Restons sur le cas suisse. Selon l'ancien article 190 du Code pénal suisse, seules les personnes de sexe féminin pouvaient être victimes de viol, et un acte de contrainte était nécessaire. Un agresseur devait menacer une femme, utiliser la violence ou exercer des pressions psychologiques sur elle, ou encore la rendre incapable de résister pour que l'acte sexuel non consenti soit qualifié de viol. La législation suisse n'avait pas d'infraction de base qui punissait les actes sexuels non consentis, car cela ne pouvait être considéré que comme du harcèlement sexuel. L'Espagne a-t-elle connu des problèmes similaires avant la réforme ?
Avant cette réforme de 2022, le Code pénal de 1995, après les modifications de 1999, disposait d'un modèle de protection que je considère plus que suffisant pour assurer la protection de la liberté sexuelle de manière adéquate. La législation pénale punissait tout acte sexuel non consenti en tant qu'abus sexuel ; et ceux qui, en plus, impliquaient de la violence ou de l'intimidation, en tant qu'agression sexuelle, le viol étant défini comme une agression sexuelle avec pénétration. Le Code pénal, donc, avant la « Loi du oui est oui » était bien plus systématique et cohérent dans l'approche de la protection pénale de la liberté et de l'intégrité sexuelles, et la réforme a marqué un tournant négatif, en établissant une législation qui, en assimilant l'abus et l'agression, a affecté la base du système de responsabilité pénale pour les infractions sexuelles. Le fait qu'il ait fallu réformer la loi quelques mois plus tard prouve que c'était une erreur.
La mise en œuvre de l'approche "seul un oui est un oui" a été un sujet controversé en Espagne. Quelles ont été les principales réactions et défis culturels lors de la mise en œuvre de cette approche ? Quelles améliorations spécifiques peut-on observer en termes de protection et de justice pour les victimes ? A-t-on déjà observé des changements dans le comportement des jeunes ?
L'aspect le plus positif de cette norme, malgré toutes les critiques que j'ai formulées, est qu'elle a permis une réévaluation du débat social sur le consentement sexuel. En effet, l'idée de "seul un oui est un oui" n'a pas prévalu, mais la doctrine pénale a eu l'occasion d'explorer les arguments autour du consentement sexuel. Bien que mon opinion sur la réforme soit défavorable, je considère qu'elle a permis un débat intellectuellement très fructueux. Cependant, il aurait été souhaitable que ce débat ait eu lieu avant que cette norme ne soit intégrée dans le droit positif. Le défi posé par cette norme a été de remettre en question notre propre expérience de la sexualité en tant qu'activité consensuelle : voulons-nous un sexe dialogué, ou un sexe contractualisé et réglementé comme l'espace aérien, où il n'y aurait pas de place pour l'improvisation ou un consentement – même présumé – pour certaines activités dans le cadre de la liberté individuelle ? En termes plus simples, l'État doit-il dire aux citoyens comment avoir des relations sexuelles légitimes ? Par conséquent, ce débat est positif, ne serait-ce que par la réaction intellectuelle de certains pénalistes, qui ont conduit à des réflexions profondes sur la question, comme celles de Díez Ripollés et sa constatation du modèle identitaire dans la législation pénale sexuelle, ou celles de mon mentor, Boldova Pasamar, avec ses contributions sur le consentement et les relations sexuelles à un jeune âge. Les victimes étaient protégées avant la réforme, et malheureusement, elles ont ressenti une perte de protection avec celle-ci, lorsque des centaines de réductions de peine pour des délinquants sexuels ont été constatées. Moi-même, en tant qu'avocat, j'ai dû intervenir dans des révisions de peine à la baisse, en représentant des parties civiles pendant des années qui ont été affectées par cette norme. Le risque de faire descendre certaines idées du "ciel des concepts", comme le disait Ihering, pour les ramener au plan pragmatique, ce sont précisément les effets que cela produit dans la vie des gens. Les jeunes, à mon avis, vivent avec une certaine perplexité cette "pression" sur le consentement, car l'empreinte des concepts de morale sexuelle a été réanimée dans le domaine pénal, non plus d'origine religieuse, mais identitaire. Ce n'est pas un bon moment pour l'expérimentation du développement de la sexualité en liberté, car une idée du sexe comme "activité à risque" a été créée, ce qui ne correspond pas à la grande majorité des expériences.
Malgré la nouvelle réforme, les victimes de crimes sexuels rencontrent encore des défis dans les procédures judiciaires. Quels sont les principaux obstacles que les victimes (qu'elles soient adultes ou mineures) doivent surmonter dans le système judiciaire espagnol ? Quelles mesures supplémentaires pourraient être mises en place pour améliorer le soutien et la protection des victimes pendant le processus judiciaire ?
Je pense que les victimes disposent de mécanismes de soutien efficaces sur le plan législatif, notamment depuis la Loi sur le Statut de la Victime de 2014 et, en particulier, après les récentes modifications apportées à la Loi de Procédure Pénale pour favoriser la preuve préconstituée et les moyens télématiques dans ce domaine. Il est cependant différent de vouloir que la victime soit dispensée de devoir soutenir l'accusation dans le procès, de témoigner en justice et de devoir prouver les faits constitutifs de l'accusation. Exempter cela pour les délits sexuels relève simplement d'un droit pénal d'auteur ou de l'ennemi, selon Jakobs, ce qui est incompatible avec un modèle garantiste propre à toute démocratie digne de ce nom. Cela dit, au-delà de cela, la difficulté fondamentale réside dans la lenteur du système judiciaire espagnol, surchargé et souvent dépourvu de moyens suffisants, où les affaires se prolongent tellement que l'expérience traumatique de la victime est perpétuée sans limite temporelle.
Cela ne peut pas être résolu simplement, comme on l'a pensé à tort, en fixant des limites aux délais d'instruction (article 324 de la Loi de Procédure Pénale espagnole) qui ne sont ni clairs ni précis, et qui donnent lieu à des interprétations contestables – comme comprendre, par exemple, qu'il est impossible de poursuivre une personne mise en examen si plus d'un an a été nécessaire pour obtenir les preuves de son incrimination, même si la procédure a été archivée provisoirement, ce qui est illogique et contraire aux délais fixés par l'article 130 du Code Pénal espagnol. Il s'agit plutôt de créer plus de tribunaux, des organes plus spécialisés dans les crimes contre les personnes, et de doter les organes techniques de moyens supplémentaires (par exemple, des Instituts de médecine légale disposant de professionnels hautement spécialisés et bénéficiant d'une formation continue, davantage de moyens pour les forces de police, etc.). Il s'agit de réduire les délais et de doter le processus pénal espagnol de moyens d'expertise de haut niveau, mais sans compromettre les garanties des personnes mises en cause ni les présomptions en faveur de l'accusé. Cela romprait l'égalité des armes et, en fin de compte, le modèle de procédure pénale propre à un système moderne et garantiste.
Depuis le 1er juillet 2024, le Code pénal suisse sanctionne explicitement la vengeance pornographique et le stealthing. Ces changements ont également été introduits en Espagne. Dans le domaine sensible des infractions sexuelles, pensez-vous qu'il est vraiment nécessaire de sanctionner explicitement tous les comportements spécifiques plutôt que de permettre aux tribunaux d'interpréter les comportements qui pourraient constituer une agression sexuelle et être couverts par des articles plus généraux (viol, coercition sexuelle, harcèlement sexuel, etc.) ? L'objectif de prévention derrière cette spécificité est-il plus important pour les mineurs ?
Ce sont des sujets divers. Dans le cas de la vengeance pornographique, je viens de publier un chapitre de livre dans lequel j'analyse la question, en tenant compte de la commission par des moyens technologiques et l'IA, dans lequel je plaide pour une réglementation spécifique, à travers une loi pénale spéciale qui prenne en compte cette réalité, qui échappe à de simples "ajustements" dans le texte pénal en vigueur.
Dans le cas du stealthing, je considère qu'il devrait faire l'objet d'un type pénal autonome, distinct de l'agression sexuelle actuellement en vigueur, car il s'agit d'une tromperie sur un élément modal de la relation sexuelle consentie. En effet, comme pour presque toutes les formes de tromperie, c'est-à-dire ces comportements dans lesquels une des parties ment ou dissimule la vérité, cela serait déterminant pour que le consentement n'ait pas été donné. Cependant, si les éléments périphériques du consentement sexuel deviennent centraux, comme le sont – à mon avis – l'identité des participants et la nature de l'acte sexuel, la tromperie sur n'importe quel facteur annulerait le consentement. Récemment, la Cour suprême espagnole s'est prononcée sur cette question, et la solution qu'elle a donnée me semble insatisfaisante (son opinion dissidente également, bien que je la trouve plus cohérente sur le plan interne, malgré mon désaccord) : il a été décidé de punir le retrait du préservatif comme un acte sexuel non consenti – ce qui était auparavant un abus, est maintenant une agression sexuelle dans sa forme de base – mais la pénétration elle-même est considérée comme consentie. C'est une solution très critiquable, et sur laquelle je travaille actuellement pour commenter son contenu et ses effets. La meilleure prévention, comme vous l'indiquez dans votre question, ne vient pas du droit pénal ni de la fonction préventive générale de nature pédagogique, mais de l'éducation elle-même au sens strict, dans les écoles et dans les familles. C'est cela qui attaque réellement la racine du problème. Si le droit pénal intervient, c'est toujours tard et avec des dommages à des intérêts légitimes.
Bien que la "Loi du seul oui est un oui" ait introduit des changements significatifs, quels autres aspects du droit pénal sexuel espagnol pensez-vous qu'il faudrait réformer pour mieux protéger les victimes d'infractions sexuelles ? Y a-t-il des domaines spécifiques qui nécessitent encore une attention législative urgente, en particulier en ce qui concerne le droit pénal des mineurs ?
Il est urgent, à mon avis (une position minoritaire que je partage avec mon mentor, le Dr. Boldova Pasamar, mais que je crois correcte), de repenser la cohérence des âges de consentement sexuel et de responsabilité pénale des mineurs.
Il est également important de revoir la structure et la cohérence interne des infractions contre la liberté et l'intégrité sexuelles, en incluant expressément une référence à ce bien juridique, qui a été expressément supprimée lors de la réforme de 2022, mais qui reste présente dans la réglementation, afin de résoudre certaines lacunes détectées, comme l'incohérence de la répression pénale de l'agression sexuelle sous certaines formes aggravées par rapport aux types de base (en particulier, dans les cas de privation de sens et d'annulation de la volonté), ou d'inclure dans le cadre de la clause Roméo et Juliette la réalisation consentie de matériel pornographique entre les participants à l'acte sexuel auquel se réfère la clause, car sinon, la relation sexuelle est permise mais il est interdit de représenter volontairement une image de l'acte sexuel entre les participants, ce qui crée une incohérence difficilement surmontable.
Selon la loi espagnole, les établissements d'enseignement supérieur doivent jouer un rôle crucial dans la sensibilisation au consentement et aux infractions sexuelles. Quels rôles ces institutions peuvent-elles jouer (ou jouent-elles) pour contribuer à une meilleure compréhension et prévention de ces délits chez les jeunes ?
Les centres éducatifs doivent être des lieux où une éducation sexuelle est offerte, sans tomber dans l'endoctrinement ou les militantismes idéologiques, qui sont loin de leur fonction. Pour cela, il est fondamental de concevoir l'éducation sexuelle comme une ligne importante dans le cadre éducatif, et non comme une question purement accessoire dans quelques cours isolés et sans matériel adéquat. Pythagore disait : "Éduquez les enfants et vous n'aurez pas besoin de punir les hommes." Cette idée est cruciale. Le droit pénal doit toujours être limité dans son intervention, en tant qu'ultime recours, pour les atteintes les plus graves aux biens juridiques. Tout ce qui dépasse cette mission contrevient à ses principes. Il est très tentant d'utiliser la force immense du droit punitif, mais c'est ce qui nous distingue des totalitarismes.
Fribourg - Saragosse, août 2024